viernes, 8 de junio de 2012

"Les illusions de la famille". >Conferencia dictada por la jurista argentina Marcela Iacub.

http://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/les_illusions_de_la_famille.1424

"L'histoire de la famille des dernières décennies se raconte comme celle d'une épopée ayant libéré femmes et enfants du joug du mariage napoléonien. Egalité entre les époux et entre les enfants, banalisation du concubinage, reconnaissance des couples homosexuels, explosion des familles recomposées et des nouvelles techniques médicales de procréation ; bref, tout un monde débarrassé des injustices et des rigueurs anciennes, permettant à chacun d'organiser son existence selon son désir et ses sentiments." Marcela Iacub nous montre l'envers de ce décors et démontre de façon convaincante que le pouvoir des femmes de choisir de faire un enfant ou non, de le garder ou non -pouvoir que n'ont pas les hommes- se paie d'une assignation à s'occuper obligatoirement de l'enfant, au détriment de leur carrière professionnelle, les hommes n'étant pas astreints à ce sacrifice.
Peut être ce raisonnement peut-il être renversé : les hommes, astreints au sur -travail, ne sont pas privé d'un élément déterminant de la qualité de vie : avoir du temps avec leur(s) enfant(s)?



Voici le texte de la conférence :

"Depuis la fin des années 1960 se met en marche un processus qui a abouti à transformer de fond en comble les assises institutionnelles de la famille. Le mariage qui monopolisait aussi bien la sexualité que la reproduction légitimes est atteint dans son cSur même. Les enfants ne vont plus être distingués selon leur conception dans ou en dehors le mariage : ils jouiront tous dun statut identique. De même, les relations sexuelles ne seront plus jugées en fonction de leur inscription dans un cadre conjugal mais selon les seules règles du consentement. Les nouvelles lois qui autorisent la contraception et l'avortement permettent, en outre, de contrôler les naissances, séparant ainsi la sexualité de la reproduction. Si la sexualité aurait comme seul cadre légitime le consentement des partenaires, la reproduction devait obéir à ce même principe. Non seulement pour empêcher de naître mais aussi pour faire naître lorsque la nature ne le permet pas. En effet, la révolution des moeurs fut accompagnée dune révolution technique qui a permis de faire naître des enfants par les voies de lartifice. Séparation de la sexualité de la reproduction, dune part, séparation de la reproduction de la sexualité, de lautre et sujétion de ces deux activités au consentement. Voici comment est souvent présentée la modernité familiale.
Néanmoins, une analyse plus poussée des normes existantes nous montre qu'une telle représentation de notre modernité familiale n'est qu'illusoire.
Le Larousse définit le mot illusion comme une : « appréciation conforme à ce que quelquun souhaite croire mais fausse par rapport à la réalité ».
Le propre de l'illusion est moins l'erreur mais le désir de cette erreur. Cest parce que nous souhaitons qu'une chose soit dune certaine manière que nous nous trompons. Les illusions sont dans ce sens, la pire forme de l'erreur car non seulement elles ne cherchent point la vérité, elles la rejettent. Si elles créent des représentations fausses de la réalité cest que celle-ci nest point acceptable mais que l'on ne souhaite pas la transformer. Il y a donc entre les principes qui rendent acceptables une réalité et la réalité elle-même une contradiction que lillusion vient résoudre, sur un autre plan. Elle nous permet de croire que nous vivons dans un autre monde que le nôtre sans nous donner aucune mauvaise conscience.
S'il est beau d'avoir des illusions, ne serait ce que pour les perdre, elles deviennent très encombrantes lorsque l'on se place dans un domaine politique comme celui de la famille. Car le politique nous confronte à des questions qui sont susceptibles dêtre transformées par l'intervention humaine, tandis que les illusions nous empêchent de comprendre ce qui nous arrive et nous enlèvent la liberté de réfléchir aux solutions que nous pourrions y apporter.
Je voudrais montrer que notre révolution des moeurs, loin davoir séparé la sexualité de la reproduction les aurait liées dune manière nouvelle. Loin davoir soumis la reproduction au seul critère du consentement, de la volonté de faire naître, a crée des nouvelles contraintes, non plus liées au mariage mais aux puissances des corps des femmes. Que, loin davoir fini avec les inégalités entre les hommes et les femmes, elle se serait contentée d'en créer dautres. Montrer donc que l'on a beaucoup changé mais non pas dans le sens que nous croyons l'avoir fait.
Du mariage au ventre maternel
La crise du mariage comme cadre institutionnel général définissant les bonnes naissances (« légitimes ») et les mauvaises (« illégitimes »), en même temps que qualifiant la bonne et la mauvaise sexualité, aurait pu aboutir à une séparation de la procréation de la sexualité, pour ne la faire reposer que sur la volonté humaine. Mais ce nest pas cela qui est arrivé. La famille française s'est reconstruite autour d'un centre de gravité tout aussi contraignant et tout aussi inégalitaire que le mariage. Ce n'est plus l'union des époux, mais le ventre des mères. Autour de lui gravitent les paternités, s'imposent les maternités, se hiérarchisent les filiations et les parentalités.
Père : si je veux, quand je veux ?
Contraception, avortement, et même accouchement sous X : il semble que tout soit fait pour que désormais les parents puissent n'avoir que les enfants qu'ils veulent vraiment. Puis arrive un jour où un homme apprend que la femme avec qui il vit (ou parfois avec qui il a simplement une liaison) est enceinte et qu'elle a bien lintention de « le garder ». Innombrables sont ces histoires où l'on voit un brave garçon, un peu honteux, confier qu'il n'était pas très favorable, qu'il navait pas encore d'emploi, qu'il n'était pas sûr de sa relation avec cette femme, mais que, bon, il na pas voulu faire comme tant d'autres, tourner le dos à ses « responsabilités », demander à une femme une chose aussi grave qu'un avortement, etc. A ses côtés, la jeune mère très fière d'elle-même comme de son chevaleresque compagnon vous dit qu'il fallait juste le pousser un peu et qu'il est désormais très content, un vrai papa poule. C'est faire contre mauvaise fortune bon coeur. Car la vérité est que, si les femmes ont tous les moyens pour ne pas devenir mères quand elles ne le souhaitent pas (et même en abandonnant l'enfant qu'elles ont mis au monde), les hommes, eux, n'ont quasiment aucun recours pour éviter qu'un spermatozoïde égaré ne finisse pas les rendre, bon gré mal gré, père d'un petit être humain. Vous direz : « mais vous n'allez tout de même pas permettre à un homme de forcer une femme à avorter quand elle ne le veut pas ! ». Il n'est pas question de cela. Il est question du fait quil existe dans notre droit des recours juridiques qui permettent aux femmes de demander à un juge d'imposer une paternité aux hommes avec qui elles ont conçu un enfant, dont on ne mesure pas souvent la signification. Ceci permet à une femme, jusquà deux ans après la naissance de l'enfant, d'obliger par la voie judiciaire un homme à devenir père (sauf s'il prouve par un test d'ADN qu'il nest pas le géniteur), quand bien même il aurait juré ses grands dieux dès la conception qu'il nen voulait pas, quand bien même il n'aurait jamais eu connaissance de la grossesse. L'enfant dispose lui aussi de deux ans à partir de sa majorité pour entamer cette action en son propre nom. Un homme imprudent peut ainsi se voir pendant plus de vingt ans suspendu à une paternité non désirée. Quant aux hommes mariés, il n'est même pas nécessaire de faire quoique ce soit : ils sont automatiquement « présumés » les pères, et ils n'ont aucun recours si l'enfant est bien d'eux.
Il est vrai que, pour entamer une action en recherche de paternité, il faut donner des indices « graves » de la vraisemblance d'une filiation. Mais cela ne signifie rien dautre, pour une femme, que d'accréditer l'idée qu'elle a eu une relation avec cet homme. Cest donc bien de la relation sexuelle elle-même que les hommes sont responsables. D'ailleurs, si l'on ne possède aucune preuve de cette liaison ou si la mère a laissé passer deux ans depuis la naissance de l'enfant, elle dispose encore d'une action, l'« action en subsides ». Celle-ci permet de demander à un homme qui a eu une relation sexuelle avec la mère de l'enfant de verser jusquà la majorité de l'enfant une pension, sans qu'il soit cependant déclaré père légal de l'enfant (ce qui peut être un peu ennuyeux, obliger à partager l'autorité parentale et ce genre de tracas). Elle est d'autant plus utile quelle peut être demandée à plusieurs hommes simultanément, comme autant de tiers payeurs !... Bien sûr, ceux-ci ont le droit de se soumettre volontairement à un test dADN pour montrer quils ne sauraient être le géniteur de l'enfant. Mais qui sait ? Peut-être préféreront-ils ne pas prendre le risque de découvrir qu'ils le sont vraiment; L'action en subsides n'empêchera d'ailleurs pas plus tard votre enfant d'entamer après sa majorité, sil le souhaite, une action en recherche de paternité. Que demander de mieux ?
Tout cela est d'autant plus choquant que la possibilité offerte aux femmes d'« accoucher sous X » leur permet non seulement de garder l'anonymat, mais aussi, au cas où leur identité viendrait à être dévoilée, de rendre impossible toute action en recherche de maternité. Elles disposent ainsi non seulement de la contraception, non seulement de l'avortement, mais encore du droit de faire naître un enfant et de bloquer à tout jamais toute relation légale entre elle et lui. Les hommes, eux, ne disposent même pas du droit de se désolidariser de leur spermatozoïde. La séparation du sexe et de la parentalité na pas été inventée pour eux, mais uniquement pour les femmes. Il n'y a que la maternité qui soit volontaire, et non point la paternité. On pourrait pourtant imaginer donner aux hommes le droit de déclarer avant la naissance de l'enfant, par exemple au moyen d'un acte notarié ou devant un juge, leur volonté de ne pas être père de l'enfant que porte telle femme, de sorte quon ne pourrait engager contre eux aucune action en recherche de paternité. Encore faudrait-il, bien sûr, qu'ils aient été informés de la grossesse. Il s'agirait d'une sorte d' « engendrement sous X », qui accomplirait une véritable séparation entre la sexualité et la procréation. Celle-ci, de nos jours, n'existe pas : contraception, avortement et accouchement sous X ont en réalité pour effet de donner aux femmes un contrôle absolu des conséquences familiales de la sexualité. On présente ces règles comme des manières dégaliser la situation des hommes et des femmes face à la procréation, mais c'est l'inverse : elles ont créé, ou plutôt perpétué dans ce domaine une inégalité radicale entre les sexes.
J'entends déjà certains s'indigner, crier que c'est le monde à l'envers, que la vérité est que les hommes ne cherchent jamais qu'à fuir leurs responsabilités, à abandonner femmes et enfants pour partir avec une autre (qu'ils abandonneront aussi par la suite), qu'il est tout de même normal qu'on les rende responsables, etc. Ces discours rappellent tout de même étonnamment ceux qui dénonçaient, dans les années 60, le comportement sexuel irresponsable des femmes, pour leur interdire l'accès à la contraception ! Les hommes seraient-ils devenus les « salopes » de ce début du vingt-et-unième siècle, qui n'ont qu'à s'abstenir d'avoir des relations sexuelles s'ils ne sont pas prêts à en assumer toutes les conséquences ?
« Mais aussi pourquoi les hommes laissent-ils toujours aux femmes le soin de la contraception ? », demanderont d'autres voix, plus modérées, « c'est trop facile : ils n'avaient qu'à prendre leurs précautions. » Mais n'est-ce pas là encore ce que certains disaient pour interdire l'avortement alors que la contraception était déjà autorisée ? Dailleurs ceux qui travaillent dans les services où lon procède aux IVG vous diront que le préservatif est loin dêtre un moyen infaillible. Il est vrai qu'il y a une méthode contraceptive exclusivement masculine et tout à fait imparable : il s'agit de déposer un nombre raisonnable de plaquettes de sperme dans les « banques de sperme », puis de procéder à une vasectomie, autrement dit de se stériliser volontairement. Lorsque vous voulez un enfant, vous procédez à une insémination artificielle et voilà, le tour est joué. Hélas, la stérilisation contraceptive a été interdite en France jusquà très récemment. Elle a été finalement autorisée en 2001, sans trop de publicité d'ailleurs, et sans non plus qu'on pense vraiment à tempérer cette inégalité des hommes et des femmes devant leur liberté sexuelle. Il s'agissait plutôt de chercher des moyens pour modérer le recours des femmes françaises à l'avortement, jugé trop fréquent. Jusquà très récemment, donc, les hommes n'avaient tout simplement pas le droit de recourir à la seule méthode contraceptive masculine vraiment efficace. On peut y trouver, il est vrai, une consolation : les hommes raisonnables devraient être incités à utiliser plus systématiquement des préservatifs afin de se protéger du sida autant que d'une paternité non désirée.
Vous pouvez dire quil est normal qu'on force les hommes à devenir pères car non pas relativement aux femmes, mais dans l'intérêt de l'enfant. Celui-ci aurait besoin d'une mère et d'un père, et, même si ce n'est pas très juste, une fois qu'un enfant est au monde, la considération de son bien-être doit passer avant toutes les questions dégalité des sexes. Mais à la vérité, il est difficile de se convaincre qu'il soit vraiment dans l'intérêt de l'enfant d'avoir des pères contraints. La réprobation qui entourait jadis les enfants sans père a pratiquement disparu ; les parents isolés disposent d'aides de l'Etat qui, sans doute, devraient être plus importantes, mais ont tout de même le mérite d'exister ; les femmes peuvent trouver un autre père pour leur enfant, qui, lui, sera plus désirant d'assumer ce titre et ce rôle. Il est douteux qu'il soit vraiment épanouissant davoir un père qui vous perçoit comme une dette et que vous devez sans cesser traîner devant les tribunaux pour vous payer une pension, participer à vos études, etc. Mais surtout, si vraiment on croyait qu'un enfant devait avoir un père et une mère, et que toutes les considérations sur les libertés procréatives devaient céder devant cet impératif suprême de la psychologie ordinaire, pourquoi n' oblige-t-on pas les femmes à entamer de telles actions ? Pourquoi permet-on à certaines de « faire un enfant toute seule » ? Pourquoi l'Etat lui-même n'intente-t-il pas, directement, de telles actions ?
Que faut-il en conclure ? Que les libertés négatives que notre société s'est octroyée en matière de procréation n'ont pas eu pour but ni pour effet de séparer celle-ci de la sexualité, mais plutôt de faire des femmes, et plus précisément des femmes fertiles, les points fixes de toutes les familles. Tout est fait pour que les pères soient relativement substituables, incertains, contingents, presque accessoires, alors que les mères doivent être indiscutables, inexpugnables, « vraies ». Cela est particulièrement évident si on regarde le traitement différent qu'on réserve à la « vérité » biologique, selon quil sagit des hommes ou des femmes.
Ce quil faut pour faire une mère.
On sait quen France, comme dans de nombreux pays, les hommes peuvent « reconnaître » des enfants dont ils savent pertinemment qu'ils ne les ont pas engendrés. Ces paternités de complaisance sont bien plus nombreuses quon ne l'imagine et il ny a, a priori, rien de mal à cela. Le problème, cest qu'un homme dont les exploits sexuels n'auraient pas réellement été à l'origine de la conception de son enfant nest pas à l'abri d'une contestation de paternité. Lui-même d'ailleurs peut la demander pendant neuf ans, même sil s'est comporté comme un père pendant tout ce temps, et trente ans sil ne s'est jamais comporté ainsi. Il sera cependant sanctionné civilement pour être revenu sur son engagement. En revanche, la mère a trente ans pour contester sa paternité, sans quimporte le moins du monde lexpression soutenue, pendant toutes ces années, de la volonté du père ainsi débouté. Seul compte le verdict du gène. L'enfant a lui aussi trente ans après sa majorité pour entamer cette action. Un homme qui na pas engendré un enfant ne pourra ainsi être assuré de sa paternité que lorsque son enfant aura quarante-huit ans ! Les hommes mariés eux-mêmes ne sont pas protégés de ces risques : la fameuse loi de 1972, qui a voulu se montrer si aimable à l'égard des couples adultérins, a permis à une femme de contester la paternité de son mari si elle épouse, dans les 7 ans qui suivent la naissance de l'enfant, le vrai géniteur. Moralité : si vous acceptez de devenir père sans avoir véritablement engendré l'enfant, ne le reconnaissez pas : adoptez le !
Les femmes, quant à elles, sont beaucoup mieux protégées contre toutes ces éventualités pour une raison bien simple : il leur est rigoureusement interdit, sous menace de sanctions pénales, de devenir mère d'un enfant quelles n'ont pas accouché. Elles doivent être « certaines » dès la naissance et le rester toujours. Celà aussi est assez récent. Avant la loi de 1972, toujours la même, il était impossible de remettre en question la filiation d'une femme mariée qui sétait arrangée avec une autre pour déclarer à sa place avoir accouché de lenfant. Cétait une sorte de petite fraude, protégée cependant indirectement par la loi. Mais à mesure que la famille devenait de plus en plus « libre » et « plurielle » et « égalitaire » dans les discours, la chasse aux mères qui n'ont pas accouché s'est faite plus féroce dans la réalité, sans que personne ne semble trouver cela un peu contradictoire pour une société où la famille se vante dêtre si libre.
Lorsqu'on a organisé les techniques médicales de procréation, au milieu des années 90, on a permis le don de sperme, d'embryon et même d'ovule ; la seule technique que non seulement on n'a pas autorisée, mais dont on a même fait un délit passible de sanctions pénales, est la « gestation pour autrui », ce qu'on appelle aussi les « accords de mère porteuse », c'est-à-dire le fait de prêter ou de louer son ventre pour permettre à une autre femme de devenir « mère biologique » (cest-à-dire pas adoptive) d'un enfant à sa naissance. On a persécuté par tous les moyens ceux quon suspectait de conclure de tels accords, alors même quils étaient souvent gratuits. Les femmes qui, en désespoir de cause, se rendent à létranger, dans les pays où ces accords sont autorisés (en particulier la Californie, la Grande-Bretagne, ou Israël), sont susceptibles de venir s'expliquer devant la justice pénale. Très récemment, il est vrai (le 30 septembre 2004), une femme qui avait eu recours à une mère-porteuse en Californie et sétait vue traînée devant les tribunaux français à son retour, a bénéficié d'un non-lieu. Ces accords étant parfaitement licites dans les pays où ils sont réalisés, on ne pouvait pas les considérer un délit en France. Néanmoins, les enfants nés dans ces conditions peuvent voir leur filiation maternelle annulée même si la justice pénale semble avoir renoncé à cette cruauté supplémentaire qui était d'accuser la mère de porter atteinte à l'état civil de l'enfant. Le désir de maternité des femmes qui ne peuvent porter un enfant est considéré comme le plus criminel qui puisse exister. On autorise même un transsexuel femme devenue homme à se marier avec une femme, et à avoir recours à un don de sperme pour devenir père légal d'un enfant ! Si votre anatomie ne vous permet pas de porter un enfant, sachez quil vous sera plus facile de devenir père que de devenir mère. Cette sévérité semble une conséquence étrange et paradoxale de la manière dont l'avortement a été institué en France. Car, dans les pays où la gestation pour autrui est autorisée, la « mère porteuse » (qui nest donc pas la mère) garde cependant le droit davorter. Or ce qui semble impensable en France, cest précisément qu'une femme qui devient mère biologique d'un enfant n'ait pas eu le droit davorter (quand bien même elle aurait a fourni lovule). Le non-avortement apparaît en effet comme la véritable épreuve du désir de maternité. Cette interdiction frénétique des mères porteuses dit une chose : la mère d'un enfant est celle qui aurait pu le tuer dans son ventre avant sa naissance. Elle est celle à qui nous devons la vie, non seulement parce que, comme le géniteur, elle a fourni son matériel génétique, mais parce quelle a eu sur nous puissance de vie et de mort, comme lancien paterfamilias romain. Voilà, en effet, qui crée des liens& Mais l'inégalité entre les hommes et les femmes ne s'arrête pas là. Peut-être certains lecteurs se souviennent-ils de Jeanine Salomone. Cette femme est devenue en 2001 mère à lâge de 62 ans, après s'être fait implanter en Californie un embryon conçu avec l'ovule d'une donneuse américaine. Une femme peut en effet porter un enfant jusqu'à un âge tardif. Mais que n'a-t-on alors entendu ? Certains auraient quasiment voulu inscrire à la Charte de l'Unesco le « droit de naître d'une jeune et jolie maman ». De fait, en France, on exige des femmes qu'elles naient pas dépassé lâge de la ménopause pour bénéficier des nouvelles techniques procréatives, alors quon ne pose aucune limite dâge pour les hommes. Les centres de fécondation artificielle, dans la pratique, nacceptent pas les femmes qui ont plus de 40 ans, même si elles ne sont pas ménopausées. Nombreux au contraire sont les hommes qui voient survenir sur le tard de petits soucis dinfertilité, et qui peuvent être certains de compter sur le soutien actif de nos hôpitaux alors même quils approchent de la retraite. On ne trouve pas bien scandaleux, d'une manière générale, qu'un homme de 80 ans devienne père. Après tout, les enfants hériteront plus vite, et la mère pourra sen occuper exclusivement, en toute sécurité. On retrouve, dans toutes ces dispositions, un véritable idéal normatif concernant la personne du couple qui doit en priorité soccuper des enfants. De même, quand on a réussi en 2004 à congeler des tissus ovariens, pour les greffer ensuite et permettre à une femme qui ne pouvait plus ovuler de devenir de nouveau féconde, on s'est empressé de suggérer que ceci ne devait pas servir aux vieilles, mais seulement aux jeunes femmes qui, à cause d'une maladie quelconque, peuvent prévoir quelles ne pourront bientôt plus ovuler. On ne cesse de déconseiller aux femmes de retarder trop le temps de leur premier enfant. Que veut-on dire par là, sinon quelles ne devraient pas perdre leur temps à courir derrière leur carrière à lâge où leurs hormones sont en pleine activité. Il faut mettre ses ambitions de côté justement à ce moment de la vie où le marché du travail est le plus concurrentiel et dans lequel se joue l'avenir professionnel des personnes. Quoiquon en dise, les femmes doivent être prêtes à sacrifier leur vie professionnelle à leur rôle de mère. Et pour être une mère accomplie, pense-t-on sans doute, il vaut mieux être jeune, jolie et pleine dénergie, que vieille, moche et épuisée par les kilomètres qu'on a parcourus dans la vie.
Il nen reste pas moins que, à condition d'avoir le temps, l'argent et le courage, vous pouvez suivre la voie de Jeanine Salomone : allez dans des pays moins accrochés à ce fantasme des jeunes mamans épanouies, faites vous implanter un embryon fécondé avec un autre ovule, et rentrez en France pour accoucher tranquillement. Ne vous en faites pas : en France, le ventre est roi, la mère est celle qui accouche, on ne pourra rien contre vous. Et si vous êtes jeune et prévoyante, nhésitez pas. Allez sur le champ faire congeler vos tissus ovariens, et retournez paisiblement à vos amours et vos travaux. Qu'on ne se méprenne pas sur ce que j'essaie de dire : je ne prétends que les hommes sont les grands perdants et que les femmes vivent dans un monde merveilleux où elles ont tous les droits. Dabord ces « privilèges » ne concernent que les femmes fertiles et surtout celles qui peuvent accoucher. Les autres sont traitées plus durement encore que les hommes. Lindifférence même du mouvement féministe et de ses magazines officiels à leur égard laisse penser quelles sont à peine des femmes [1]. Il na donc pas été question dattribuer un privilège particulier à un genre, mais plutôt de faire du ventre fertile le nouveau socle de toutes les filiations. De plus, je ne crois pas que cette position « dominante » dans le domaine de la filiation joue véritablement en faveur des femmes. Nos politiques publiques continuent par ce biais à considérer que les femmes fertiles sont censées s'occuper prioritairement de la reproduction, telles des êtres à deux pattes dont le ventre serait une usine à peupler le pays et à renouveler les générations. Les hommes, en revanche, sont perçus en dernière instance comme des sortes des tiers payeurs, devant aider à lEtat à assumer les choix procréatifs et familiaux des femmes. Ils peuvent être contraints à être pères, substitués par un autre homme, vrais ou faux la seule chose qui compte est quils puissent être utiles d'une manière ou d'une autre aux femmes fertiles. Les résultats en termes de ces politiques démographiques sont encourageants pour la natalité. La France connaît un tel baby boom quelle est devenue, tout au moins avant l'élargissement de l'Europe, le pays de l'Union qui compte le plus de petits, après l'Irlande, et qui pourvoit le tiers des naissances des pays de l'Union. Néanmoins, on ne saurait être aussi élogieux quant à leurs conséquences sur légalité économique, professionnelle ou politique des femmes et des hommes. Etant celles qui décident toutes seules de la venue au monde des enfants, celles qui seules sont indubitables, leur responsabilité à leur égard est bien plus importante que celles des hommes. Dans plus de 80% des cas, la résidence de l'enfant est fixée chez sa mère. Toutes les tentatives bien intentionnées pour essayer de convaincre les pères de se montrer plus « désirants » seraient un peu plus crédibles si elles sexprimaient aussi au niveau de la réalité juridique, non a posteriori mais a priori en leur accordant les mêmes droits pour décider de la venue au monde des enfants.
Ce déséquilibre entre les fonctions parentales des hommes et des femmes est sans doute la principale raison de la stagnation de légalité entre les sexes en dehors de la famille. En effet, compte tenu de leurs charges familiales les femmes sont moins à même de s'investir dans le travail ou la cité. Prévoyant leur destin de mères, elles désertent les filières éducatives les plus porteuses, acceptent des rôles secondaires dans le domaine professionnel et laissent à leur compagnon le soin de gagner le maximum dargent et de prestige. Aujourdhui encore, les femmes choisissent à plus de 90% des hommes plus âgés et plus diplômés quelles, phénomène que les démographes désignent sous le terme d « hypergamie ». Et pourtant les chantres de notre modernité familiale considèrent que ces inégalités n'ont absolument rien à voir avec les nouvelles règles familiales, que, au contraire, celles-ci seraient parfaites et que si les femmes continuent à avoir une position amoindrie ceci n'obéit quà un phénomène bien étrange et difficile à définir qui serait la domination masculine. Ceci serait à lorigine des discriminations que les femmes subissent dans leur travail ou en politique. Ainsi, pour atteindre légalité, il ne faut pas essayer de voir la place des règles reproductives dans cette affaire mais au contraire, ne point les modifier et essayer de compenser par dautres biais le coût qui implique pour les femmes leur investissement familial. Voici comment fonctionne cette illusion qui présente notre modernité familiale comme parfaite. Puisquon ne veut pas la transformer car au fond on considère que les choses sont bien comme elles sont, que les femmes ne doivent pas quitter cette position des premières reproductrices on voudrait chercher aussi bien des causes et des remèdes aux effets que cela produit qui n'ont rien à voir avec les situations réelles. "N'est-il pas temps de nous libérer des discours des marchands d'illusions ? [1] On constate cependant un certain infléchissement sur ce sujet. Voir le dossier réalisé sur les mères porteuses par le magazine Elle, 11 octobre 2004.